L’armure du Jakolass

Si le libraire ne vous a pas vendu les 5 premières pages : Comment transformer la pire des épaves de bar en célèbre voyageur spatio-temporel ? Se rendre sur la la planète prison Walawalla et retirer son armure à l’invincible Jasperian le Jakolass.

L’usage de plusieurs dessinateurs et scénaristes pour une série devient monnaie courante. Les dessinateurs se réunissent aussi pour rendre hommage à une série : les moins jeunes se souviennent de  » Baston – La Ballade des Baffes  » ou de  » Rocky Luke – Banlieue West, l’homme qui se tire plus vite que son ombre « . Les auteurs sont parfois invités à faire quelques apparitions – comme par exemple pour la série Adèle Banc-Sec, dans l’album  » Tous des monstres « , où Tardi avait invité plusieurs grands noms de la bédé à venir dessiner différents monstres illustrant les terreurs enfantines des personnages. Les détournements de série sont également très courants : on ne compte plus les Schtroumpfs pour « adultes only » qui circulent sous le manteau ou plus récemment « les aventures de Philip et Francis » parodiant Blake et Mortimer.

Il est en revanche rare de voir un croisement entre deux séries. La réponse est probablement dans la difficulté de l’exercice. On connait Fantasio qui intervient dans  Gaston Lagaffe – déjà une forme de mixage mais somme toute dans un univers homogène puisque les deux séries étaient dessinées par Franquin et coexistaient déjà au sein du même journal Spirou. Mais quoi de commun à première vue entre « Valerian » de Christin et Mézières et « Chez Francisque » de Larcenet ? Peu de chose à priori n’est ce pas ? L’idée est tellement peu évidente que Manu Larcenet explique dans Le Parisien que le croisement avec « Chez Francisque » s’est fait parce qu’il ne parvenait ni à dessiner Valérian ni à lui trouver un vocabulaire humoristique qui lui fut propre. Il a donc décidé de passer par un personnage qu’il maîtrisait et qui dispose déjà de ressorts comiques. Cela aurait pu tomber sur  » Bill Baroud  » mais le choix s’est porté sur un des personnages de  » Chez Francisque « .

L’idée de confier cet exercice à Larcenet était loin d’être une folie car ce dernier a toujours su naviguer entre plusieurs univers : l’humour de chez Fluide Glacial, l’autobiographie, le strip, le fantasy, le roman graphique. Le choix d’une série achevée diminue également l’enjeu pour l’éditeur Dargaud. Valérian est déjà une série culte et il n’y aura pas d’autres albums. Mais comment pouvait on relier ces deux univers éloignés. L’humour étant le chemin le plus court entre deux hommes, il l’a été également entre les deux séries. Larcenet a utilisé comme entremetteur les Shingouz, qui se distinguaient dans la série initiale en étant presque la seule touche humoristique, de par leur allure et leur méthodes commerciales agressives parfois douteuses. Albert, élément stabilisateur conserve dans la présente adaptation son rôle de mentor et varie peu par rapport à l’original, tandis que René, en provenance directe de son rade, fait merveille surtout après un delirium tremens soigné à coup de pastis dosés façon légionnaire. On citera, parmi les nombreuses situations comiques, la scène sur Kaouss V, seul débit de boissons alcoolisées de toute la galaxie : la séquence rappelle une autre scène dans le premier Star Wars (Episode IV) où Jan Solo est obligé de jouer du pistolet laser – ambiance lourde, dangereuse des clandés remplis d’extra terrestres aux mines patibulaires, mais que René grâce à sa verve de pilier de comptoir égaie avec superbe.

Les auteurs de Valérian on eu la bonne idée de donner carte blanche à Larcenet avec quelques conditions : ne pas se contenter de faire une déclinaison de l’original, ne pas entrer dans l’hommage trop appuyé et ne pas reprendre à l’identique le dessin de Mézières. Larcenet utilise cette liberté, habitué qu’il est à manipuler des univers déjà très variés, et semble se régaler en créant librement toutes sortes de créatures et en enchaînant nombre de situations comiques.

On retrouve les décors désertiques de  » Lazarr « , l’ambiance de geste de  » Donjon « , et le prisonnier que rencontre René sur la planète prison rappelle l’ermite du  » Retour à la terre « . Les personnages sont toujours très expressifs et très dynamiques alors que le trait légèrement ondulé du dessin et le nombre réduit de lignes de mouvements plutôt petites pourraient créer l’effet contraire. Le travail de colorisation se coule parfaitement et parvient à suivre le dessin changeant de Manu Larcenet, tantôt rempli d’ombres, parfois très dense lorsqu’il s’agit de décors, d’autres fois encore composé de tampons, ou à d’autres endroits pouvant tendre vers une ligne plus claire.

Rassurons les aficionados de l’original. L’album ne désacralise pas complètement Valérian puisque dans l’histoire son corps inerte est placé sous écrin comme le sont tous les titres des aventures de Valérian désormais. Ne pas hésiter donc à offrir ce très bon album à un puriste.

Lafigue

Une bavure bien baveuse

Si vous avez raté le début : Pour une fois ce n’est pas le lapin de Garenne qui se fait tirer comme un lapin de garenne. Au contraire ce dernier est à l’origine d’une bavure policière. Heureusement un canard mène l’enquête.

Gare au Garenne ! En effet, plus habitué à se faire tirer au fusil qu’à tirer lui même, il commet une boulette aux conséquences fâcheuses. Quand il s’agit d’une boulette policière on a pris l’habitude de parler de bavure, particulièrement quand le bavuré finit au cimetière, ce qui est le cas ici.

Au bout du vingtième volume des aventures de Canardo, on se demande ce qui nous rend le plus désabusé des palmipèdes de la bande dessinée si attachant. Comment pouvons nous être enchantés par cet univers si désenchanté ? Est ce le bestiaire qui l’entoure ? Il en est de plus éclatants tels que Blacksad, ou bien celui de Walt disney tout simplement. Alors qu’est ce qui fait le charme de cette série ? Il est bien possible que la réussite de cette œuvre réside finalement dans le regard de Canardo : lourd, fatigué et chargé d’un bon quintal d’humanité rehaussé d’un frisottement malicieux qui envoûte les femmes les plus belles malgré l’âge avancé de notre détective, une petite taille que lui impose son état de canard et une condition physique qu’on suppose bien au delà du déplorable, au vu de tout l’alcool ingurgité et de la multitude de cigarettes fumées depuis trente ans. Les yeux de Canardo possèdent le bleu du ciel qui manque aux villes du nord dans lesquelles se déroulent ses enquêtes permettant à l’auteur de décliner toutes les nuances du gris de la palette. Notre détective, béatifié par des hectolitres de bourbon, pourtant conscient des turpitudes du monde, pardonne presque toujours. Débonnaire comme personne, ce canard est bon.

Lafigue

Tu mourras moins bête – La science, c’est pas du cinéma !

Le résumé en très gros : Stevan Segal parviendra t-il à équilibrer l’équation stœchiométrique qu’il a sous les yeux tout en sautant en parachute de la ionosphère ?

Armée de son dessin, à mi-chemin entre Raiser et Luz, et d’un solide sens du questionnement tous azimuts, Marion Montaigne prend son petit bâton de pèlerin de la science pour nous délivrer son message : « la science c’est pas du cinéma ! ». Elle aurait pu intituler son livre « La techno c’est pas de la rumba » ou « tiens voilà du boudin  » mais cela aurait quelque peu dénaturé son propos et possiblement distrait le lecteur.
Forte de ce titre explicite, elle déroule une série de questionnements quasi-enfantins. Je défie cependant quiconque de ne pas s’être posé ce genre de questions il y moins d’un an. On citera : « Où dois je tirer sur un corps pour qu’il survive à la balle ? » ; « Quand pourra-t-on acheter des sabres lasers sur e-bay ? » ; « Pourquoi ne donne-t-on pas de parachute dans les avions? ». Toute une série de situations cinématographiques sont traitées comme celle de la taille des silencieux sur les armes de précision ou de la pertinence médicale quand au fait de se recoudre soi même en pleine jungle après s’être pris une demi douzaine de balles de Kalachnikov. La série « Les experts » est passée au tamis et il ne reste de cette dernière qu’un divertissement parsemé d’erreurs voire d’aberrations scientifiques. Malgré l’humour et le ton bon enfant, on sort un peu piteux de la lecture de cet album, en se disant que cinéma et télévision nous on fait avaler bon nombre de couleuvres irrationnelles depuis notre naissance. Un livre salutaire en toute droite provenance de la blogosphère.

Lafigue

PS : on peut retrouver les dernières planches de Marion Montaigne sur http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/

Pour en finir avec le cinéma

De quoi s’agit t’il : Blutch explore le cinéma et tente, à travers quelques gueules et scènes d’anthologies diverses, de comprendre ce qui irrépressiblement l’obsède dans le 7eme art.

Contrairement à ce que peut laisser croire le titre, Blutch est un fou de cinéma au point d’y consacrer un roman graphique. Son propos n’est pas de rédiger un essai théorique sur l’art cinématographique mais plutôt d’user des procédés du 9eme art pour exposer ce que représentent pour lui ces milliers d’heures consacrées à étancher sa soif d’images.
L’album est un peu comme une série de rushs visionnés sans montage particulier : pas d’histoire unifiante au fil des pages. Simplement les divagations d’un personnage, qu’il représente un peu usé par les années, franchement ravagé par de trop nombreuses séances dans les salles obscures, et pérorant ses considérations tantôt à sa femme tantôt à la face de pas grand monde.
Ce que révèlent ces quelques méditations est assez déroutant. Le cinéma n’est il pas finalement une activité qui consiste en dernière analyse à voir vieillir les acteurs ? Le cinéphile exercerait donc une activité sans guère plus d’intérêt que celle de parcourir un album de famille ? Est-ce là le simple point de vue plastique, réducteur, du dessinateur ? On pourrait le croire quand on découvre ses efforts déployés à dessiner, usant du trait large qu’on lui connait, sous toutes les coutures et à tous âges, Burt Lancaster ou bien Kirk Douglas. Pas aussi simple, quand on sait l’émoi que peut provoquer la disparition de certains acteurs : qui pourrait nier qu’il n’a pas été au moins une fois d’avantage affecté par la mort d’une vedette de cinéma que par celle de quelque proche. C’est cette proximité avec ces êtres de pellicule qu’interroge l’auteur, au travers d’une œuvre de prime abord déroutante, mais qui mérite largement un effort de lecture.

Lafigue