Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins)

Si par mégarde vous avez sauté les 10 premières pages : Sarah, jeune américaine d’origine juive, entame un voyage de 10 jours en Israël. Alors qu’elle ne cache pas son hostilité envers la politique israélienne vis à vis des palestiniens, ce voyage, organisé par le Taglit, programme mondial dédié à la découverte d’Israël et tourné vers les jeunes juifs du monde entier, confronte sérieusement Sarah avec ce qu’elle connait d’Israël et de sa situation.

Les ligne claires et les couleurs délavées du récit contrastent avec le bouillonnement intellectuel de la jeune Sarah Glidden. Quand on feuillette rapidement l’ouvrage, ce récit de voyage au dessin aéré pourrait presque paraître paisible si le sujet ne venait à porter sur un des lieux les plus controversés de la planète, source de bon nombre de passions politiques : Israël. En effet l’apparente fraîcheur graphique entre en résonance avec la paix des lieux visités par Sarah mais laisse une étrange impression à la redécouverte des innombrables conflits qui se sont succédés depuis 2000 ans sur un territoire grand comme trois départements français.
Forte d’un soutien qu’elle pense indéfectible pour la cause palestinienne, Sarah est très réticente à entamer ce voyage promu par une agence se dévouant à faire découvrir Israël aux jeunes juifs du monde entier. Elle appréhende le risque d’avoir à subir un discours empreint de propagande et sans doute sait elle déjà que la proximité qu’engendrera fatalement son petit périple avec les protagonistes risque de faire vaciller ses convictions pro-palestiniennes. Toutefois elle désire sincèrement jouer le jeu du voyage initiatique et souhaite même nouer un lien charnel ou mystique avec ce pays, elle qui n’est absolument pas pratiquante et qui doute de son attachement au peuple juif. Luttant contre une possible auto-déconstruction politique qu’elle redoute, l’héroïne bombarde de questions tous les israéliens qu’elle rencontre, quitte à agacer ses compagnons de voyages, qui se contenteraient bien des simples plaisirs du tourisme organisé et du discours que leur sert leur tour operator. Progressivement ses lignes intérieures bougent. Elles tremblent même quand elle découvre le désenchantement des pionniers des kibboutz contraints de privatiser une partie de leurs structures et d’individualiser leurs modes de vie. Que leur répondre quand ceux-ci déclarent : « nous avons vécu votre rêve ». Notre jeune voyageuse est mal à l’aise devant des soldats plus jeunes qu’elle. Émue par les militants de la paix, elle souhaite se donner toutes les chances d’un jugement politique éclairé en tentant d’aller de l’autre côté du mur israélien. Il lui sera néanmoins très difficile de discuter directement avec des arabes et son voyage demeurera inachevé.
L’angle principal de cet ouvrage est bien la mise à l’épreuve de ses propres convictions politiques. Le choix du titre révèle sans doute la modestie de l’auteure dans le traitement du sujet et renvoie à une relative inexpérience politique cependant que l’ensemble est d’une sincérité parfaitement exemplaire.

Lafigue

JOUR J – L’imagination au pouvoir ?

Si vous avez raté les 5 premières pages : Mai 1968, De Gaulle ne reviendra jamais de Baden Baden. Le vieux général est mort dans un accident d’hélicoptère tandis que Massu a fait sauter les paras sur Paris en pleine insurrection pré-révolutionnaire. Mais pendant les évènements, les affaires continuent, et un ancien sous-officier putschiste d’Alger reconverti dans le grand banditisme participe à un braquage de transferts de fonds pour la Banque de France.

Mai 68 a duré un mois mais ses effets sur la société française se sont prolongés jusqu’à aujourd’hui. Parti d’une révolte étudiante, le mouvement embrasera toutes les tranches de la société : libération sexuelle, éducation, monde de l’entreprise, monde de la culture et des médias. Et il n’est pas un débat actuel sans lequel on ne puisse invoquer les mannes soixante-huitardes, tantôt pour louer l’esprit de mai tantôt pour lui attribuer l’intégralité de nos maux actuels.

Il n’était donc pas inintéressant de consacrer à cette période une uchronie qui supposerait un prolongement révolutionnaire à cette révolte, permettant ainsi d’explorer au plus profond les représentations et fantasmes de l’époque. Il faut louer le talent des scénaristes qui parviennent à godiller subtilement entre le probable et le possible. La période était pré-révolutionnaire selon bon nombre de textes et résolutions de congrès issus de l’extrême gauche post-soixante-huitarde, et beaucoup on cru pendant les cinq années qui suivirent que la période était mûre pour une révolution. A la manière dont le régime avait fortement vacillé lors de la disparition de De Gaulle à Baden Baden, les gauchistes et leurs organisations surpris par leur nouvelle capacité de contestation et d’action, n’auront de cesse de vouloir reproduire les événements de mai pendants les années qui suivirent. Le sabordage des maoïste de la Gauche Prolétarienne et la dissolution de la Ligue Communiste d’Alain Krivine par Raymond Marcellin toutes deux en 1973, la publication de l’Archipel du Goulag, quelques avancées sociétales et sociales, le début de la crise économique, peut être pour finir, la lassitude et l’envie de s’insérer socialement des militants finiront par mettre fin à l’agitation étudiante du Quartier Latin. Quand bien même la guerre civile appelée de ses vœux au début des années 70 par Serge July  – alors maoïste, avant de devenir pendant des années le célèbre patron de Libération, journal issu de la mouvance contestataire de l’époque – se serait produite, on peut se demander quel débouché politique à cette guerre « classe contre classe » auraient imaginé les dirigeants politiques des différentes factions en présence.

Duval et Pecau imaginent que succède, à une guerre insurrectionnelle de 2 ans, une constituante chargée de fonder les institutions d’une nouvelle république. Ils y placent des hommes politiques qui marquent encore aujourd’hui par leur action la scène politique. Mitterand le florentin, à une époque où il croit plus aux forces de l’intrigue qu’à celle de l’Esprit qu’il évoquera bien plus tard lors de ses derniers vœux aux français, est prêt à sortir du bois pour reprendre la main sur le jeu politique. Daniel Cohn-Bendit, avec son capital de sympathie qu’on lui connait et dont il a toujours su user, est comme un poisson dans les eaux troubles de ce scénario. Et au milieu des intrigues de cour, il parvient à opérer l’alliage entre les radicaux et les partis de gouvernement. Chirac, quant à lui, rode autour des allées du pouvoir et attend son tour. Ce rapprochement, au sein de cette constituante fictive entre différents personnalités politiques qui mirent en réalité des décennies à se rencontrer autant qu’ à parvenir au pouvoir, opère comme un condensé des récentes années de la cinquième république, synthétisant le désenchantement progressif de la majeure partie de la société lorsqu’aux sirènes d’usine et aux voix crachées des mégaphones succéderont la musique des nouveaux organistes du libéralisme.

Le hold up des barbouzards aurait pu être éliminé de l’histoire et les auteurs auraient pu se consacrer d’avantage aux arcanes de la politique, mais sans doute ont ils voulu garder un des caractères essentiels de la série J : une histoire insérée dans un contexte historique général fictif et non pas une hypothèse historique comme sujet principal. Cependant les auteurs en profitent pour pousser le plus loin possible les délires architecturaux de l’époque au point de faire passer pour déficiente l’imagination des concepteurs du Centre Pompidou. Comme si Christo, Wahrol et Costy avaient eu un crédit illimité auprès de la Mairie de Paris pour financer leurs projets extravagants. Maisons bulles, couleurs acidulées et personnages dessinés à la manière de Caza pullulent dans des mises en scènes paroxysmiques dépassant les projections les plus folles de l’époque, et ce n’est pas un des moindres mérites de cette bande dessinée de nous faire voyager dans cet univers.

Lafigue

Chroniques diplomatiques – Quai d’Orsay

Alexandre Taillard de Worms, le ministre des Affaires Étrangères pour lequel Arthur rédige des discours est le portrait craché de Dominique de Villepin. Est il fidèle à l’original ? On peu raisonnablement penser qu’il lui ressemble quand on sait que le scénariste de l’histoire, Abel Lanzac, a lui même travaillé au quai d’Orsay. Il utilise ici la fiction pour livrer un témoignage.

Et il nous le rend attachant ce ministre : exalté, brouillon, pénétré d’une vision du rôle que doit jouer la France dans le monde. Ce dernier demande à ses collaborateurs une disponibilité de tous les instants. Il veut les convertir à ses oracles géopolitiques et n’hésite pas à puiser la source de sa réflexion politique chez Héraclite ou dans un ouvrage de poésie qu’il brandit devant ses subordonnés. C’est une tornade, et un souffle de vent permanent suit l’homme d’action qu’il est. Le temps politique est trop long pour cet homme pressé qui donne en permanence à ses collaborateurs l’impression de penser à un niveau au-dessus. Le scénario tourne cependant en dérision la structuration de ses discours, sa manie de pisser du concept et le côté brouillon, survolté ou inspiré du personnage. Lanzac en profite pour égratigner les petites intrigues de palais tout en louant l’efficacité et la modestie de M. Maupas, pilier du ministère, et peut être le seul à véritablement savoir ce qu’il fait au sein de ce tourbillon permanent, contrairement à Arthur, le protagoniste principal de l’album, tout jeune employé du Ministère démarrant aux écritures, qui passera progressivement de l’observation amusée à une forme de subjugation pour le grand homme pressé.

La Figue