Planter des clous – Le combat ordinaire

Manu Larcenet sort le tome 4 du Combat Ordinaire. Age tendre, désillusions et gueules de bois…

La critique est aisée mais l’art est difficile dit le quidam impunément. Or, je viens tout juste de finir le dernier tome du « Combat ordinaire » de Manu Larcenet. Et comment voulez vous que j’en fasse une de critique sur cette bon dieu de BD ?

Il n’y a pas de reproches à lui faire à ce satané illustré à part ceux que Marco, le héros de l’histoire se fait sempiternellement. Apparemment devenu plus serein, la paternité semble l’avoir décentré de lui même et de ses angoisses qui n’effrayent nullement son psychanalyste ;un psychanalyste plus taquin que freudien quand Marco parle de ses envies de meurtre ou quand il lui prend de faire son malin. L’apprentissage d’un papa avec sa fille, la détresse ouvrière, les racines historiques et familiales, l’illusion politique sont abordés tant à travers les échanges entre personnages que par la somptueuse mise en page de silences qui installent autant les transitions que le rythme de la réflexion. Ce procédé souvent utilisé permet au lecteur de s’emparer des questions que se posent Marco ou Pablo, l’ami de son père disparu. Les moments d’humours révèlent les failles ou les contradictions d’une vie qui si elle s’écoule ordinairement, ponctuée par ses drames grands ou petits, ne manque pas de profondeur. Et cette profondeur, cette complexité, qui donnent le vertige à Marco sont révélées à chacun par la lecture de cette histoire.

Ma question à moi du coup n’a toujours pas trouvé sa réponse. Comment je fais moi pour faire rien qu’à critiquer cet album.

En effet monsieur Larcenet ! Des gens comme vous sont les fossoyeurs d’une profession qui n’est pas mienne mais c’est pas une raison quand même… je n’ai même pas réussi à trouver une bribe de dessin dont on pourrait dire qu’il est un quart de poil foireux. Forcément quand on fait la synthèse réussie du gros nez et d’un dessin intimiste, c’est trop facile alors : on peut tout aborder. La vie, l’amour, la mort ou que sais-je encore. Quand le moindre trait se met instantanément au service d’une histoire, je n’ai plus qu’à finir cet article et pis c’est tout.

Lafigue

Le sanctuaire du Gondwana – Blake et Mortimer

Ce qui est agréable avec Blake et Mortimer, c’est qu’on sait ce qu’on va y trouver quand on ouvre n’importe lequel des albums de la série : de la grande aventure, des civilisations perdues, de l’archéologie, des innovations scientifiques, du mystère, du thé à 5 heures, de la coopératons entre le MI5 et le MI6, un soupçon de nostalgie pour l’Empire Britannique, de la ligne claire belge, pas une seule pincée d’humour belge et enfin Olrik.

Cet épisode ne déroge pas à ces règles de bases. Alors bon cru ? La machination Voronov et le contexte de guerre froide se calait parfaitement à la série et c’est probablement le plus réussi des albums réalisés par Sente et Juillard. Dans Le sanctuaire de Gondwana (très bon titre) on apprécie les ingrédients qui font le succès de la série mais une pointe un peu plus policière et un peu moins archéologique n’auraient pas fait défaut à cette histoire dont on apprécie cependant pleinement le développement.

Lafigue

Les funérailles de Luce

Entre descriptions contemplatives, évènements graves de la vie et conte onirique, Springer révèle les dures lois de l’existence à l’enfance…

Elle commence joliment cette histoire. Une petite fille et son grand père partagent tous les petits moments que peut offrir une vie calme et un peu retirée dans une campagne française. Collecte matinale des oeufs au poulailler , chasses aux papillons, grenadines au PMU du coin…une vie paisible. Mais la toute jeune Luce découvre ce que découvrent un jour ou l’autre tous les enfants. Avec la vie, il y a la mort et celle-ci n’a que faire des terreurs enfantines. C’est trop injuste et c’est ainsi.

Springer utilise habilement son pinceau. Tantôt mouillé et délié, tantôt sec et plein, il donne le volume, la lumière et une couleur au noir et blanc de ses planches. Les expressions des visages par exemple sont parfaitement rendues. A ce titre, la scène du chat mangeant sa gamelle dans la cuisine est particulièrement réussie. En apparence anodine et n’ajoutant pas d’information cruciale au scénario, on pourrait se laisser dire que le dessinateur n’a fait que s’offrir le plaisir d’une petite scène bucolique. Au contraire, au delà d’installer un climat, le moment où le chat regarde en dehors du champ de la vignette est saisissant. Quelque chose l’a distrait ? Pressent-il un évènement ? La fixité de son regard est effrayante et nous rappelle à des peurs que le quotidien se charge d’enfouir.

La faucheuse est représentée par un homme nu accompagné d’une petite fille voilée qui apparaissent régulièrement. L’héroïne est bien sûr la seule à les voir. Une à deux apparitions de moins auraient peut être été préférables car il est facile pour le lecteur d’incliner vers le fantastique. Cependant ces apparitions sont là semble t-il pour montrer que la mort n’a rien d’effrayant pour qui ne la connait pas. elle est juste nouvelle et ne fait qu’exciter la curiosité.

Dommage que l’auteur ait ressenti le besoin d’expliciter son propos aux travers de dialogues sur la mort entre Roger et Mme Roserin. Cet échange qui vient vers la fin alourdit légèrement l’histoire, avant un dénouement qui lui en revanche est parfaitement réussi et éclatant. Beauté et Tragique sont à notre porté grâce à ce très bel album.

Lafigue

Modus Vivendi – Le Tueur

Quoique fassent leurs auteurs, il sera sans doute à jamais impossible d’égaler le choc que fut le premier tome de cette série désormais solidement campée dans les rayons des libraires. Oser faire d’un tueur professionnel le héros d’une série, il fallait l’envisager. Réussir à faire entrer le lecteur dans l’univers mental d’un reptile à sang froid, il fallait l’essayer.

Les auteurs y sont plus que parvenu. Pour le tueur l’homme est bel et bien mort que ce soit depuis Auschwitz ou depuis un certain Marc Dutroux. Alors qui tue il ? Rien d’autre que d’autres prédateurs dont il ne sait rien. C’est la règle. Son activité n’est qu’une activité commerciale pas plus blâmable qu’une autre qu’il mène seul, sans exploiter personne. En 6 volumes parus, le nihilisme du tueur nous est devenu familier et on pourrait même sympathiser avec lui à une terrasse de café.

Fallait il entamer un nouveau cycle ? Oui car premièrement un tueur ça manque quand il n’y en a pas. Deuxièmement c’est l’occasion pour un scénariste de se surpasser (le nouveau cycle de Thorgal par exemple a donné un bon second souffle à une série qui dépérissait un peu). Pour réussir le pari, il a fallu accélérer le rythme de l’histoire, plus lent dans les 5 premiers volumes. Cependant les auteurs ont réussi à conserver une mise en page faite de grande vignettes. Les teintes en à-plats demeurent somptueuses et cadrent parfaitement avec la froideur apparente du personnage.

Si le tueur commence à perdre les pédales, encourageons Matz et Jacamon à en mettre un grand coup pour nous livrer la suite.

Lafigue