Une bavure bien baveuse

Si vous avez raté le début : Pour une fois ce n’est pas le lapin de Garenne qui se fait tirer comme un lapin de garenne. Au contraire ce dernier est à l’origine d’une bavure policière. Heureusement un canard mène l’enquête.

Gare au Garenne ! En effet, plus habitué à se faire tirer au fusil qu’à tirer lui même, il commet une boulette aux conséquences fâcheuses. Quand il s’agit d’une boulette policière on a pris l’habitude de parler de bavure, particulièrement quand le bavuré finit au cimetière, ce qui est le cas ici.

Au bout du vingtième volume des aventures de Canardo, on se demande ce qui nous rend le plus désabusé des palmipèdes de la bande dessinée si attachant. Comment pouvons nous être enchantés par cet univers si désenchanté ? Est ce le bestiaire qui l’entoure ? Il en est de plus éclatants tels que Blacksad, ou bien celui de Walt disney tout simplement. Alors qu’est ce qui fait le charme de cette série ? Il est bien possible que la réussite de cette œuvre réside finalement dans le regard de Canardo : lourd, fatigué et chargé d’un bon quintal d’humanité rehaussé d’un frisottement malicieux qui envoûte les femmes les plus belles malgré l’âge avancé de notre détective, une petite taille que lui impose son état de canard et une condition physique qu’on suppose bien au delà du déplorable, au vu de tout l’alcool ingurgité et de la multitude de cigarettes fumées depuis trente ans. Les yeux de Canardo possèdent le bleu du ciel qui manque aux villes du nord dans lesquelles se déroulent ses enquêtes permettant à l’auteur de décliner toutes les nuances du gris de la palette. Notre détective, béatifié par des hectolitres de bourbon, pourtant conscient des turpitudes du monde, pardonne presque toujours. Débonnaire comme personne, ce canard est bon.

Lafigue

Tu mourras moins bête – La science, c’est pas du cinéma !

Le résumé en très gros : Stevan Segal parviendra t-il à équilibrer l’équation stœchiométrique qu’il a sous les yeux tout en sautant en parachute de la ionosphère ?

Armée de son dessin, à mi-chemin entre Raiser et Luz, et d’un solide sens du questionnement tous azimuts, Marion Montaigne prend son petit bâton de pèlerin de la science pour nous délivrer son message : « la science c’est pas du cinéma ! ». Elle aurait pu intituler son livre « La techno c’est pas de la rumba » ou « tiens voilà du boudin  » mais cela aurait quelque peu dénaturé son propos et possiblement distrait le lecteur.
Forte de ce titre explicite, elle déroule une série de questionnements quasi-enfantins. Je défie cependant quiconque de ne pas s’être posé ce genre de questions il y moins d’un an. On citera : « Où dois je tirer sur un corps pour qu’il survive à la balle ? » ; « Quand pourra-t-on acheter des sabres lasers sur e-bay ? » ; « Pourquoi ne donne-t-on pas de parachute dans les avions? ». Toute une série de situations cinématographiques sont traitées comme celle de la taille des silencieux sur les armes de précision ou de la pertinence médicale quand au fait de se recoudre soi même en pleine jungle après s’être pris une demi douzaine de balles de Kalachnikov. La série « Les experts » est passée au tamis et il ne reste de cette dernière qu’un divertissement parsemé d’erreurs voire d’aberrations scientifiques. Malgré l’humour et le ton bon enfant, on sort un peu piteux de la lecture de cet album, en se disant que cinéma et télévision nous on fait avaler bon nombre de couleuvres irrationnelles depuis notre naissance. Un livre salutaire en toute droite provenance de la blogosphère.

Lafigue

PS : on peut retrouver les dernières planches de Marion Montaigne sur http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/

Le policier qui rit

Si vous avez raté le début : La police suédoise découvre un bus dont les passagers sont criblés de balles. Le commissaire Martin Beck, chargé de l’enquête découvre avec stupeur que l’une des victimes n’est autre que l’un de ses enquêteurs.

Depuis les invasion normandes, on avait appris à s’inquiéter à la vue de drakkars vikings sur les côtes. Après la sortie du film Festen, on s’était dit que les danois avaient un curieux sens de la famille. La trilogie Millenium de Stieg Larson pouvait amener à s’interroger sur les règles du tutorat en Suède. Cette adaptation d’un polar écrit par Maj Sjöwall et Per Wahlöö se devait donc, en principe, de faire honneur à la réputation de glauque, d’horreur et de tripaille dont semblent être friands les auteurs de fictions scandinaves.
Cela commence plutôt bien. En effet le départ de ce roman se situe sur la scène de crime : la cabine d’un bus dont les passagers baignent dans le sang après avoir été mitraillés. On pense dès lors, avec nos habitudes de lecteur d’aujourd’hui, à un crime aveugle commis par on ne sait quel fou psychotique. Seulement le roman qui a servi à cette adaptation a été écrit il y a quarante ans, à une époque où les serials killers n’avaient pas complètement envahi livres et séries policières. Il va donc falloir aux enquêteurs se creuser un peu plus les méninges et mettre un peu de cohérence au milieu de ce carnage. C’est l’occasion pour les auteurs de détailler le travail de fourmi, lent, bien souvent ingrat que les policiers de la ville de Stockholm doivent fournir pour espérer aboutir : enquêtes de voisinage, expertises scientifiques, filatures, consultations d’archives. On quitte le domaine de l’hémoglobine pour entrer dans le détail de l’enquête proprement dite.
De plus avec un pareil titre, le lecteur s’attend par antithèse à un héros sinistre. Mais heureuse surprise, il ne l’est pas tant que ça et il faut reconnaitre que le commissaire est parfois à deux doigts d’être guilleret, ce qui vient relever l’ambiance grise et hivernale que restitue bien Martin Viot par son dessin.
Reconnaissons qu’on est un peu dérouté et qu’on en viendrait presque à regretter une petite scène de torture ou de découpage de corps ligoté déci delà.

Lafigue.

Pour en finir avec le cinéma

De quoi s’agit t’il : Blutch explore le cinéma et tente, à travers quelques gueules et scènes d’anthologies diverses, de comprendre ce qui irrépressiblement l’obsède dans le 7eme art.

Contrairement à ce que peut laisser croire le titre, Blutch est un fou de cinéma au point d’y consacrer un roman graphique. Son propos n’est pas de rédiger un essai théorique sur l’art cinématographique mais plutôt d’user des procédés du 9eme art pour exposer ce que représentent pour lui ces milliers d’heures consacrées à étancher sa soif d’images.
L’album est un peu comme une série de rushs visionnés sans montage particulier : pas d’histoire unifiante au fil des pages. Simplement les divagations d’un personnage, qu’il représente un peu usé par les années, franchement ravagé par de trop nombreuses séances dans les salles obscures, et pérorant ses considérations tantôt à sa femme tantôt à la face de pas grand monde.
Ce que révèlent ces quelques méditations est assez déroutant. Le cinéma n’est il pas finalement une activité qui consiste en dernière analyse à voir vieillir les acteurs ? Le cinéphile exercerait donc une activité sans guère plus d’intérêt que celle de parcourir un album de famille ? Est-ce là le simple point de vue plastique, réducteur, du dessinateur ? On pourrait le croire quand on découvre ses efforts déployés à dessiner, usant du trait large qu’on lui connait, sous toutes les coutures et à tous âges, Burt Lancaster ou bien Kirk Douglas. Pas aussi simple, quand on sait l’émoi que peut provoquer la disparition de certains acteurs : qui pourrait nier qu’il n’a pas été au moins une fois d’avantage affecté par la mort d’une vedette de cinéma que par celle de quelque proche. C’est cette proximité avec ces êtres de pellicule qu’interroge l’auteur, au travers d’une œuvre de prime abord déroutante, mais qui mérite largement un effort de lecture.

Lafigue