Pour en finir avec le cinéma

De quoi s’agit t’il : Blutch explore le cinéma et tente, à travers quelques gueules et scènes d’anthologies diverses, de comprendre ce qui irrépressiblement l’obsède dans le 7eme art.

Contrairement à ce que peut laisser croire le titre, Blutch est un fou de cinéma au point d’y consacrer un roman graphique. Son propos n’est pas de rédiger un essai théorique sur l’art cinématographique mais plutôt d’user des procédés du 9eme art pour exposer ce que représentent pour lui ces milliers d’heures consacrées à étancher sa soif d’images.
L’album est un peu comme une série de rushs visionnés sans montage particulier : pas d’histoire unifiante au fil des pages. Simplement les divagations d’un personnage, qu’il représente un peu usé par les années, franchement ravagé par de trop nombreuses séances dans les salles obscures, et pérorant ses considérations tantôt à sa femme tantôt à la face de pas grand monde.
Ce que révèlent ces quelques méditations est assez déroutant. Le cinéma n’est il pas finalement une activité qui consiste en dernière analyse à voir vieillir les acteurs ? Le cinéphile exercerait donc une activité sans guère plus d’intérêt que celle de parcourir un album de famille ? Est-ce là le simple point de vue plastique, réducteur, du dessinateur ? On pourrait le croire quand on découvre ses efforts déployés à dessiner, usant du trait large qu’on lui connait, sous toutes les coutures et à tous âges, Burt Lancaster ou bien Kirk Douglas. Pas aussi simple, quand on sait l’émoi que peut provoquer la disparition de certains acteurs : qui pourrait nier qu’il n’a pas été au moins une fois d’avantage affecté par la mort d’une vedette de cinéma que par celle de quelque proche. C’est cette proximité avec ces êtres de pellicule qu’interroge l’auteur, au travers d’une œuvre de prime abord déroutante, mais qui mérite largement un effort de lecture.

Lafigue

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De quoi s’agit t-il : trois secondes, il n’en faut pas plus à la lumière pour ricocher dans tous les coins de la ville et permettre au lecteur de suivre le fil d’une intrigue policière à travers de multiples reflets

En ces temps troublés où les neutrinos font des queues de poissons aux photons lumineux dans de gigantesques accélérateurs de particules, les trois secondes que durent cette histoire sont une éternité pour qui sait les exploiter. Ce temps court, mais relativement long pour une particule, permet à Marc Antoine Mathieu de nous insérer dans cet intervalle temporel 69 planches composées de 9 vignettes toutes du même format carré identiques au carré du format de l’album (ne cherchez pas une formule de mathématique dans la phrase il n’y en a pas)

On retrouve ici le goût de l’auteur pour les expériences graphiques, les nombres et la métaphysique qu’il avait déjà développés dans sa précédente œuvre, Dieu en personne, qui lui avait valu le Grand Prix de la Critique. La mise en abîme du format carré installe le lecteur en vision subjective, en le mettant à la place de ce photon lumineux, de cette lumière qui va rebondir de miroirs, en vitres et nombreux autres objets réfléchissants pour nous permettre d’observer la scène principale de l’histoire sous de multiples angles. La lumière par de multiples détours collecte toute une série d’information permettant au lecteur d’appréhender petit à petit l’intrigue. Les trajectoires successives sont dus aux hasard qui place les objets réfléchissants sous certains angles mais rien n’est laissé au hasard dans la construction de l’histoire. L’auteur habilement, fait repasser la lumière à certain mêmes endroits pour marquer l’écoulement du temps, procédé qui lui permet d’ajouter un peu plus de narration qu’une action totalement simultanée ne l’aurait permise.

Pas de couleur venant troubler la circulation de notre particule et qui l’empêcherait de faire la lumière sur cette intrigue : du noir, du blanc, du clair, de l’obscur et c’est tout. Mais cette lumière ne se fait pas sans un sérieux effort de concentration du lecteur qui devra ordonner toutes ces bribes d’information pour ré-assembler l’histoire. Il y a un risque de découragement pour qui les tentatives formelles rebutent un peu, cependant on est pas encore dans la complexité ou le grand n’importe quoi (selon qu’on soit fan ou pas) d’un film de David Lynch. En cas de migraine quelques esprits alertes peuvent fournissent quelques sérieuses explications sur le site de Delcourt.

Déjà comblés par la version papier, nous sommes invités à doubler cette expérimentation graphique en allant visionner l’animation électronique de l’album sur le site de la maison d’édition Delcourt, moyennant la saisie d’un code disponible sur l’album papier : http://www.editions-delcourt.fr/3s/

Lafigue