JOUR J – L’imagination au pouvoir ?

Si vous avez raté les 5 premières pages : Mai 1968, De Gaulle ne reviendra jamais de Baden Baden. Le vieux général est mort dans un accident d’hélicoptère tandis que Massu a fait sauter les paras sur Paris en pleine insurrection pré-révolutionnaire. Mais pendant les évènements, les affaires continuent, et un ancien sous-officier putschiste d’Alger reconverti dans le grand banditisme participe à un braquage de transferts de fonds pour la Banque de France.

Mai 68 a duré un mois mais ses effets sur la société française se sont prolongés jusqu’à aujourd’hui. Parti d’une révolte étudiante, le mouvement embrasera toutes les tranches de la société : libération sexuelle, éducation, monde de l’entreprise, monde de la culture et des médias. Et il n’est pas un débat actuel sans lequel on ne puisse invoquer les mannes soixante-huitardes, tantôt pour louer l’esprit de mai tantôt pour lui attribuer l’intégralité de nos maux actuels.

Il n’était donc pas inintéressant de consacrer à cette période une uchronie qui supposerait un prolongement révolutionnaire à cette révolte, permettant ainsi d’explorer au plus profond les représentations et fantasmes de l’époque. Il faut louer le talent des scénaristes qui parviennent à godiller subtilement entre le probable et le possible. La période était pré-révolutionnaire selon bon nombre de textes et résolutions de congrès issus de l’extrême gauche post-soixante-huitarde, et beaucoup on cru pendant les cinq années qui suivirent que la période était mûre pour une révolution. A la manière dont le régime avait fortement vacillé lors de la disparition de De Gaulle à Baden Baden, les gauchistes et leurs organisations surpris par leur nouvelle capacité de contestation et d’action, n’auront de cesse de vouloir reproduire les événements de mai pendants les années qui suivirent. Le sabordage des maoïste de la Gauche Prolétarienne et la dissolution de la Ligue Communiste d’Alain Krivine par Raymond Marcellin toutes deux en 1973, la publication de l’Archipel du Goulag, quelques avancées sociétales et sociales, le début de la crise économique, peut être pour finir, la lassitude et l’envie de s’insérer socialement des militants finiront par mettre fin à l’agitation étudiante du Quartier Latin. Quand bien même la guerre civile appelée de ses vœux au début des années 70 par Serge July  – alors maoïste, avant de devenir pendant des années le célèbre patron de Libération, journal issu de la mouvance contestataire de l’époque – se serait produite, on peut se demander quel débouché politique à cette guerre « classe contre classe » auraient imaginé les dirigeants politiques des différentes factions en présence.

Duval et Pecau imaginent que succède, à une guerre insurrectionnelle de 2 ans, une constituante chargée de fonder les institutions d’une nouvelle république. Ils y placent des hommes politiques qui marquent encore aujourd’hui par leur action la scène politique. Mitterand le florentin, à une époque où il croit plus aux forces de l’intrigue qu’à celle de l’Esprit qu’il évoquera bien plus tard lors de ses derniers vœux aux français, est prêt à sortir du bois pour reprendre la main sur le jeu politique. Daniel Cohn-Bendit, avec son capital de sympathie qu’on lui connait et dont il a toujours su user, est comme un poisson dans les eaux troubles de ce scénario. Et au milieu des intrigues de cour, il parvient à opérer l’alliage entre les radicaux et les partis de gouvernement. Chirac, quant à lui, rode autour des allées du pouvoir et attend son tour. Ce rapprochement, au sein de cette constituante fictive entre différents personnalités politiques qui mirent en réalité des décennies à se rencontrer autant qu’ à parvenir au pouvoir, opère comme un condensé des récentes années de la cinquième république, synthétisant le désenchantement progressif de la majeure partie de la société lorsqu’aux sirènes d’usine et aux voix crachées des mégaphones succéderont la musique des nouveaux organistes du libéralisme.

Le hold up des barbouzards aurait pu être éliminé de l’histoire et les auteurs auraient pu se consacrer d’avantage aux arcanes de la politique, mais sans doute ont ils voulu garder un des caractères essentiels de la série J : une histoire insérée dans un contexte historique général fictif et non pas une hypothèse historique comme sujet principal. Cependant les auteurs en profitent pour pousser le plus loin possible les délires architecturaux de l’époque au point de faire passer pour déficiente l’imagination des concepteurs du Centre Pompidou. Comme si Christo, Wahrol et Costy avaient eu un crédit illimité auprès de la Mairie de Paris pour financer leurs projets extravagants. Maisons bulles, couleurs acidulées et personnages dessinés à la manière de Caza pullulent dans des mises en scènes paroxysmiques dépassant les projections les plus folles de l’époque, et ce n’est pas un des moindres mérites de cette bande dessinée de nous faire voyager dans cet univers.

Lafigue

L’armure du Jakolass

Si le libraire ne vous a pas vendu les 5 premières pages : Comment transformer la pire des épaves de bar en célèbre voyageur spatio-temporel ? Se rendre sur la la planète prison Walawalla et retirer son armure à l’invincible Jasperian le Jakolass.

L’usage de plusieurs dessinateurs et scénaristes pour une série devient monnaie courante. Les dessinateurs se réunissent aussi pour rendre hommage à une série : les moins jeunes se souviennent de  » Baston – La Ballade des Baffes  » ou de  » Rocky Luke – Banlieue West, l’homme qui se tire plus vite que son ombre « . Les auteurs sont parfois invités à faire quelques apparitions – comme par exemple pour la série Adèle Banc-Sec, dans l’album  » Tous des monstres « , où Tardi avait invité plusieurs grands noms de la bédé à venir dessiner différents monstres illustrant les terreurs enfantines des personnages. Les détournements de série sont également très courants : on ne compte plus les Schtroumpfs pour « adultes only » qui circulent sous le manteau ou plus récemment « les aventures de Philip et Francis » parodiant Blake et Mortimer.

Il est en revanche rare de voir un croisement entre deux séries. La réponse est probablement dans la difficulté de l’exercice. On connait Fantasio qui intervient dans  Gaston Lagaffe – déjà une forme de mixage mais somme toute dans un univers homogène puisque les deux séries étaient dessinées par Franquin et coexistaient déjà au sein du même journal Spirou. Mais quoi de commun à première vue entre « Valerian » de Christin et Mézières et « Chez Francisque » de Larcenet ? Peu de chose à priori n’est ce pas ? L’idée est tellement peu évidente que Manu Larcenet explique dans Le Parisien que le croisement avec « Chez Francisque » s’est fait parce qu’il ne parvenait ni à dessiner Valérian ni à lui trouver un vocabulaire humoristique qui lui fut propre. Il a donc décidé de passer par un personnage qu’il maîtrisait et qui dispose déjà de ressorts comiques. Cela aurait pu tomber sur  » Bill Baroud  » mais le choix s’est porté sur un des personnages de  » Chez Francisque « .

L’idée de confier cet exercice à Larcenet était loin d’être une folie car ce dernier a toujours su naviguer entre plusieurs univers : l’humour de chez Fluide Glacial, l’autobiographie, le strip, le fantasy, le roman graphique. Le choix d’une série achevée diminue également l’enjeu pour l’éditeur Dargaud. Valérian est déjà une série culte et il n’y aura pas d’autres albums. Mais comment pouvait on relier ces deux univers éloignés. L’humour étant le chemin le plus court entre deux hommes, il l’a été également entre les deux séries. Larcenet a utilisé comme entremetteur les Shingouz, qui se distinguaient dans la série initiale en étant presque la seule touche humoristique, de par leur allure et leur méthodes commerciales agressives parfois douteuses. Albert, élément stabilisateur conserve dans la présente adaptation son rôle de mentor et varie peu par rapport à l’original, tandis que René, en provenance directe de son rade, fait merveille surtout après un delirium tremens soigné à coup de pastis dosés façon légionnaire. On citera, parmi les nombreuses situations comiques, la scène sur Kaouss V, seul débit de boissons alcoolisées de toute la galaxie : la séquence rappelle une autre scène dans le premier Star Wars (Episode IV) où Jan Solo est obligé de jouer du pistolet laser – ambiance lourde, dangereuse des clandés remplis d’extra terrestres aux mines patibulaires, mais que René grâce à sa verve de pilier de comptoir égaie avec superbe.

Les auteurs de Valérian on eu la bonne idée de donner carte blanche à Larcenet avec quelques conditions : ne pas se contenter de faire une déclinaison de l’original, ne pas entrer dans l’hommage trop appuyé et ne pas reprendre à l’identique le dessin de Mézières. Larcenet utilise cette liberté, habitué qu’il est à manipuler des univers déjà très variés, et semble se régaler en créant librement toutes sortes de créatures et en enchaînant nombre de situations comiques.

On retrouve les décors désertiques de  » Lazarr « , l’ambiance de geste de  » Donjon « , et le prisonnier que rencontre René sur la planète prison rappelle l’ermite du  » Retour à la terre « . Les personnages sont toujours très expressifs et très dynamiques alors que le trait légèrement ondulé du dessin et le nombre réduit de lignes de mouvements plutôt petites pourraient créer l’effet contraire. Le travail de colorisation se coule parfaitement et parvient à suivre le dessin changeant de Manu Larcenet, tantôt rempli d’ombres, parfois très dense lorsqu’il s’agit de décors, d’autres fois encore composé de tampons, ou à d’autres endroits pouvant tendre vers une ligne plus claire.

Rassurons les aficionados de l’original. L’album ne désacralise pas complètement Valérian puisque dans l’histoire son corps inerte est placé sous écrin comme le sont tous les titres des aventures de Valérian désormais. Ne pas hésiter donc à offrir ce très bon album à un puriste.

Lafigue

Une bavure bien baveuse

Si vous avez raté le début : Pour une fois ce n’est pas le lapin de Garenne qui se fait tirer comme un lapin de garenne. Au contraire ce dernier est à l’origine d’une bavure policière. Heureusement un canard mène l’enquête.

Gare au Garenne ! En effet, plus habitué à se faire tirer au fusil qu’à tirer lui même, il commet une boulette aux conséquences fâcheuses. Quand il s’agit d’une boulette policière on a pris l’habitude de parler de bavure, particulièrement quand le bavuré finit au cimetière, ce qui est le cas ici.

Au bout du vingtième volume des aventures de Canardo, on se demande ce qui nous rend le plus désabusé des palmipèdes de la bande dessinée si attachant. Comment pouvons nous être enchantés par cet univers si désenchanté ? Est ce le bestiaire qui l’entoure ? Il en est de plus éclatants tels que Blacksad, ou bien celui de Walt disney tout simplement. Alors qu’est ce qui fait le charme de cette série ? Il est bien possible que la réussite de cette œuvre réside finalement dans le regard de Canardo : lourd, fatigué et chargé d’un bon quintal d’humanité rehaussé d’un frisottement malicieux qui envoûte les femmes les plus belles malgré l’âge avancé de notre détective, une petite taille que lui impose son état de canard et une condition physique qu’on suppose bien au delà du déplorable, au vu de tout l’alcool ingurgité et de la multitude de cigarettes fumées depuis trente ans. Les yeux de Canardo possèdent le bleu du ciel qui manque aux villes du nord dans lesquelles se déroulent ses enquêtes permettant à l’auteur de décliner toutes les nuances du gris de la palette. Notre détective, béatifié par des hectolitres de bourbon, pourtant conscient des turpitudes du monde, pardonne presque toujours. Débonnaire comme personne, ce canard est bon.

Lafigue

Tu mourras moins bête – La science, c’est pas du cinéma !

Le résumé en très gros : Stevan Segal parviendra t-il à équilibrer l’équation stœchiométrique qu’il a sous les yeux tout en sautant en parachute de la ionosphère ?

Armée de son dessin, à mi-chemin entre Raiser et Luz, et d’un solide sens du questionnement tous azimuts, Marion Montaigne prend son petit bâton de pèlerin de la science pour nous délivrer son message : « la science c’est pas du cinéma ! ». Elle aurait pu intituler son livre « La techno c’est pas de la rumba » ou « tiens voilà du boudin  » mais cela aurait quelque peu dénaturé son propos et possiblement distrait le lecteur.
Forte de ce titre explicite, elle déroule une série de questionnements quasi-enfantins. Je défie cependant quiconque de ne pas s’être posé ce genre de questions il y moins d’un an. On citera : « Où dois je tirer sur un corps pour qu’il survive à la balle ? » ; « Quand pourra-t-on acheter des sabres lasers sur e-bay ? » ; « Pourquoi ne donne-t-on pas de parachute dans les avions? ». Toute une série de situations cinématographiques sont traitées comme celle de la taille des silencieux sur les armes de précision ou de la pertinence médicale quand au fait de se recoudre soi même en pleine jungle après s’être pris une demi douzaine de balles de Kalachnikov. La série « Les experts » est passée au tamis et il ne reste de cette dernière qu’un divertissement parsemé d’erreurs voire d’aberrations scientifiques. Malgré l’humour et le ton bon enfant, on sort un peu piteux de la lecture de cet album, en se disant que cinéma et télévision nous on fait avaler bon nombre de couleuvres irrationnelles depuis notre naissance. Un livre salutaire en toute droite provenance de la blogosphère.

Lafigue

PS : on peut retrouver les dernières planches de Marion Montaigne sur http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/