Le bonheur inquiet – Les petits riens de Lewis Trondheim

Michel Fugain déclarait récemment « le quotidien, on s’en fout ». Cette déclaration est une critique de la Nouvelle Chanson Française dont les thèmes varient souvent entre le souvenir de la bonne odeur de la colle Cléopatre d’antan et le souvenir récent du regretté film du dimanche soir. Bref, de la madeleine de Proust au kilo et de longs colliers de petites perles de clichés collectifs et fédérateurs.

Certes, mais on ne peut faire l’impasse sur 99% de nos vies et n’exprimer que les cimes de Ferré ou l’épopée lyrique. Trondheim lui n’aborde pas le quotidien de tout le monde et ne cherche pas à taquiner l’inconscient collectif. Il ne cherche pas à créer un quelconque sentiment nostalgique. Ce dont il parle c’est de son quotidien à lui.

J’entends déjà Michel Fugain dire « le quotidien de Trondheim, on s’en fout ». Certes encore. Mais ce qu’aborde Trondheim c’est l’interstice qui se trouve entre deux banalités, c’est la réflexion qui part d’un évènement anodin. Ce que nous apprennent ces tranches de biopic ? De la même façon que savoir dessiner est savoir regarder, cet ouvrage nous apprend à savoir regarder tout simplement. De la divagation à la réflexion, de la remarque anodine à l’échafaudage d’une théorie, toutes les situations sont prétextes à inspiration. Cet ouvrage pourrait être une méthode d’investigation pour qui cherche à conter.

La Figue

Un scooter dans la mâchoire – Hector Kanon

Deuxième volume des aventures de Hector Kanon parues dans Fluide Glacial et ici compilées. On ne peut que adorer sa bêtise, son absence totale de sens des responsabilité, sa façon de céder à la mode et ses angoisses qu’il transfigure dans ses rêves plus loufoques les uns que les autres. Deux perles dans cet album : la transformation d’un kebab en temple de la branchitude et l’obsession du héros pour les chaussures à bouts pointus, fin du fin de l’élégance selon lui. Sans oublier le génie sous les traits de Klaus Nomie qui accueille Hector au royaume des ombres suite à une soirée où il a encore trop déconné : on aurait pu voir cette trouvaille dans South Park.

Excellent et délassant !

La Figue

Bienvenue à BoBoLand

J’avais personnellement décidé de prendre la défense de cette catégorie de la population détestée par tout le monde. Après tout les bobos sont attachés à la culture, ils fuient le clinquant, ne cherchent pas les beaux quartiers et s’investissent parfois dans le monde associatif, voire dans la vie de leur quartier. Et puis il y avait un certain relent populiste et malsain derrière cette critique. Et bien souvent, voir le dernier des branchés vouer au pilori la « classe » des bobos popularisée par Libération avait le don de m’énerver. La chanson de Renaud avait fini de me vacciner contre cette bobophobie ambiante. C’était avant la lecture de Dupuy et Berberian.

C’est vrai que leurs travers ne compensent pas toujours leurs qualités. Snobisme, libéralisme, individualisme, hédonisme, négligé vestimentaire impeccablement étudié, sans parler de leur bunkerisation au seins d’îlots de copropriétés provoquant la gentrification des quartiers populaires. N’oublions pas l’impératif blasé : « soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien » comme le chantait Noir Désir il y a quelques années. Dupuy et Berberian ne cessent de dessiner des yeux mi-clos, des regards distants, ce genre de regard qui voit à travers vous comme si vous n’étiez pas là.

Les auteurs ont une connaissance fine du milieu et c’est au rayon sociologie qu’il faudra penser à ranger cet album.

Lafigue

Business circus – Dans mon open space

Bienvenue dans le monde l’Open Space, ce nouveau monde horizontal où les performances désormais individualisées se mesurent souvent à la manière dont chacun tente de se valoriser. Tout est bon : esbroufe, survalorisation de sa fonction, fausse rumeur, flagornerie auprès des chefs.

Nous sommes prévenus dès la page de garde en voyant un employé nager au milieu d’un banc de requins. Le traitement humoristique de la de bureau ne dissimule pas la dureté du trait donné par les auteurs à cet univers impitoyable. Cependant les tons pasels et le dessin caricatural utilisant des têtes d’animaux pour les personnages viennent adoucir les tacles appuyés que se font ces joyeux cols blancs

James emploie également de temps à autre un procédé affectionné par les dessinateurs publiés chez Poisson Pilote. Celui ci consiste à déguiser le personnage avec un costume qui exprime ses sentiments du moment. Il accoutre par exemple le stagiaire d’un costume de chasseur avec casque colonial quand celui-ci pénètre dans les locaux du marketing peuplés d’inombrables beautés féminies. Il l’habille d’une peau de bête quand il va assister à une réunion de commerciaux bas de front.

L’auteur évite l’éccueil de l’anecdote. L’entreprise n’est pas le cadre de petites saynètes mais bien le propos de cet album dont chaque gag d’une planche illustre un des mécanisme de l’entreprise. Un bien agréable manuel d’initiation à la vie en entreprise.

Lafigue