L’art de voler

Si vous avez raté le début : Le père d’Antonio Altarriba s’est réellement suicidé à 90 ans. Son fils raconte, en se substituant narrativement à son père, l’histoire de ce dernier depuis son enfance en Aragon dans l’Espagne pauvre et agricole du début du siècle jusqu’à la guerre civile.

Difficile de refermer cet ouvrage sans imaginer le nombre de renoncements qui ont parsemé la vie d’Antonio Altarriba. Difficile de ne pas ressentir l’amertume du héros de cette histoire qui n’en est pas vraiment une, puisque que c’est bien la vie réelle d’un homme qui est ici exposée. Plus qu’exposé, le parcours d »Antonio est disséqué jusqu’à l’écoeurement.

Né dans l’Espagne agricole et pauvre du début du siècle, Antonio ne rêve que de conduire une Hispano-suiza. La guerre civile lui en donnera l’occasion comme elle lui donnera l’occasion de côtoyer la peur, la mort, la camaraderie, la bêtise militaire, l’impudence des convertis au fascisme. Plus victime des événements que véritable instigateur de ces derniers, Antonio est balloté au gré de son existence, et malgré sa participation à la grande histoire, il ne donne pas l’impression d’être un grand héros. D’ailleurs le veut il vraiment ? Son engagement chez les Républicains se fait au départ plus par révolte contre les brimades des soldats de sa brigade que par réelle conviction idéologique. Comment pourrait il en être autrement pour un garçon qui a à peine connu l’école ? Cependant la franche amitié des soldats défenseurs de la République et leur refus d’être les simples pions d’une hiérarchie vont durablement marquer Antonio. Honnête, travailleur, loyal, il va devoir au gré des revirement de l’histoire apprendre le mensonge, l’hypocrisie et le double jeu. Son instinct de survie lui permettra toujours de rebondir mais la vie ne l’épargnera jamais.

Le dessin semi-réaliste, approchant un peu de celui de Crumb, se prête très bien à cette biographie faisant sans cesse des allers retours entre la grande et la petite histoire, faite, elle, essentiellement de la nécessité de subvenir aux besoins vitaux. Le noir et blanc renforce l’austérité d’un propos jamais ennuyeux. On regrettera que l’auteur a un peu trop usé de la psychanalyse dans le premier chapitre ce qui déshumanise un peu les relations père-fils de l’auteur. L’ouvrage demeure somptueux et on ne peut rester indifférent à cette vie, celle d’un homme auquel le vingtième siècle n’aura rien épargné.

Lafigue